BD: un homo dans une maison de retraite

Eric laisse son conjoint, atteint d’Alzheimer, dans un établissement spécialisé : une BD touchante joliment menée par Thibaut Lambert.

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« Tu te rappelles à quel moment nous avons décidé de te placer ? Au début de ta maladie, il y avait une aide à domicile qui venait s’occuper de toi pendant la journée. Un soir, en rentrant du travail, je t’ai trouvé saoul en train de la poursuivre, l’insultant et la menaçant. Je me suis interposé et c’est moi que tu as frappé. Pour la première fois, j’ai eu peur de toi. » Au_coin_d_une_rideLes mains tremblent, les gestes sont hésitants. George observe Eric. Voilà quelques jours seulement que son conjoint l’a placé dans une maison de retraite. Chacun de son côté doit réapprendre à vivre. Mais George, atteint d’Alzheimer, est le plus souvent d’un humeur massacrante, blessé dans une impression d’abandon.

Thibaut Lambert, qui avait déjà dessiné sur la maladie dans Al Zimmer, livre ici une BD très touchante sur le thème, toujours cruel, de la vieillesse. Sur les bancs à l’entrée de la maison de retraite, des femmes à moitié séniles piaillent sans discontinuer. Dans l’établissement, il y a celle qui cherche ses lunettes dans les endroits les plus inimaginables, celui qui ne jacte pas un mot mais observe tout ce qui l’entoure… et les accompagnateurs qui, malgré toute leur gentillesse, ont tendance à infantiliser les pensionnaires : « C’est bon la soupe, hein George ?!? » La description de la vie au sein du centre est criante de réalisme. Comment ne pas craquer ? George ne le supporte pas, malheureux de l’absence de son compagnon, malheureux de se retrouver parmi les « vipères ».

AU-COIN-UNE-RIDE-THIBAUT-LAMBERTSauf qu’en plus de ces difficultés, les deux personnages sont homos. Le directeur de la maison de retraite n’éprouvera aucune gêne à demander à Eric de dissimuler leur relation aux yeux des autres pensionnaires : « Les personnes âgées n’aiment pas trop le changement. Les alzheimers encore moins. Et je ne voudrais pas qu’un scandale éclate, parmi les résidents. » Le sujet est abordé avec une certaine sensibilité : la gêne des regards d’autrui quand les mains se caressent, quand les lèvres tentent d’attraper un baiser… Néanmoins, Thibaut Lambert reste peut-être ici un peu trop en surface ; l’homophobie latente qui peut se dégager de ce type d’établissement n’est traitée qu’en arrière-plan, au profit d’un récit qui préférera aux yeux humides le sourire du lecteur. C’est dommage. Reste que la manière d’aborder la relation entre les deux hommes est d’une très grande beauté. Et on y laissera forcément quelques larmes.

Au coin d’une ride par Thibaut Lambert (Des ronds dans l’O), sorti le 11 septembre 2014.

Gwendal Fossois

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